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INTRODUCTION
Dans un contexte de regain des politiques auto-centrées, naît l’espoir que le protectionnisme soit soluble dans le numérique. Parce qu’ils sont immatériels ou dématérialisés, un ensemble de flux caractéristiques de la nouvelle globalisation échappent, en effet, aux pratiques restrictives. Mais qui dit mondialisation numérique dit aussi protectionnisme numérique. Il n’est pas dit que le protectionnisme soit soluble dans le digital!
Corinne Vadcar / Senior Trade Analyst, InstitutFriedland
Quand les échanges commerciaux se traduisent par des prestations de services, des flux de données et de biens dématérialisés, ils s’exonèrent effectivement des frontières physiques et des barrières classiques au commerce que sont les droits de douane, les normes ou règlements techniques… Or cette croissance des flux immatériels est exponentielle.
La transformation de la mondialisation par le numérique
Ainsi, le commerce des servicess’est accru, au deuxième trimestre 2017, de 5% (par rapport au deuxième trimestre 2016), selon l’OMC. Avec la numérisation et la transformation de leur chaîne de valeur, les entreprises ont déjà largement fait basculer leurs activités des produits vers les services. Elles renforcent leur offre servicielle par différents modèles d’affaires. Et les obligations de contenu local ou d’implantation en contrepartie de l’accès au marché étranger les y encouragent.
De même, les flux de donnéesont été multipliés par dix en une décennie, selon McKinsey Global. Puissantes sources de création de valeur, les data vont connaître une forte croissance de leurs échanges transfrontaliers. Les start-up, qui s’insèrent dans des modèles autour de la connectivité, devraient pouvoir mieux résister aux barrières protectionnistes. Quant aux plateformes numériques, leurs leviers de développement (effet multiplicateur de réseaux, puissance des algorithmes, capacité à croître vite et statut de premier entrant) les ont mis à l’abri de pratiques protectionnistes.
Enfin, la nouvelle globalisation, c’est aussi une globalisation de l’intelligence collective : les savoirs et les connaissancesseront au cœur des échanges de demain. Les plateformes d’open space ou d’intelligence artificielle intègrent ainsi des contributions de savoir et de connaissances venant de pays comme la Chine et l'Iran pourtant fermés à l’Internet occidental, fait remarquer Gilles Babinet.
Le numérique permet donc de dépasser les réglementations locales pour entrer sur des marchés étrangers. Mais si les nouveaux business models résistent mieux aux barrières commerciales, c’est surtout parce qu'ils accèdent directement aux consommateurs et s’allient ces derniers par de nouveaux modèles de paiement (vente à l'usage ou à la transaction).
À l’ère numérique, une entreprise sera résiliente si elle est globale ou leader mondial. Les plateformes numériques, américaines (GAFAM) ou chinoises (BATX), l’ont bien compris. Amazon et Alibaba, acteurs du commerce électronique, se battent pour parvenir, d’ici à dix ans, au statut de premier distributeur au monde. Baidu cherche, pour sa part, à couvrir 99% de la population mondiale avec ses cartes de géolocalisation ; plus 100 millions de voitures dans le monde en sont déjà équipés. Toutefois, qui dit nouvelle globalisation dit aussi nouveau protectionnisme.
Les habits neufs du protectionnisme
Si nombre d’observateurs s’accordent pour dire qu’une autre mondialisation arrive, c’est aussi un autre protectionnisme qui prend forme. Ses manifestations sont diverses ; elles s’attachent, en premier lieu, à la protection des données.
Plusieurs législations nationales à travers le monde s’emploient, en effet, à réglementer le transfert de données à l’étranger. Selon Nigel Cory, 34 pays avaient, en mai 2017, adopté des législations visant à protéger le transfert international de données : données personnelles (y compris sur la santé) et publiques mais aussi données fiscales, comptables et financières. Or, de telles restrictions pourraient réduire le PIB des pays de l'UE ou des BRIC de 0,7 à 1,7%. Si la protection des données personnelles trouve une légitimité, la frontière entre protection et protectionnisme se révèle ténue s'agissant des autres types de données (commerciales et industrielles).
De surcroît, les régimes relatifs aux flux transfrontières de données peuvent être plus ou moins stricts. Martina F. Ferracane en a fait une taxonomie simple et éclairante allant de l’absence de restrictions sur les flux transfrontaliers à l’interdiction totale de transfert en passant par une obligation de stockage ou de traitement local des données (via les serveurs cloud et les data centers).
Le protectionnisme numérique, ce n’est pas seulement une question de protection des données.
Mais le protectionnisme numérique, ce n’est pas seulement une question de protection des données. Ce sont aussi des exigences de localisation des installations informatiques, de divulgation des codes source informatiques (systèmes d’exploitation des ordinateurs) ou de traitement discriminatoire des produits numériques (musique, vidéo, logiciels, e-books) transmis de manière électronique. Ces questions rejoignent aussi la question de la neutralité du Net récemment remise en cause par le législateur américain.
Enfin, les flux commerciaux de biens peuvent être impactés par des restrictions sur les données à partir du moment où les produits comportent des services, des logiciels et autres applications de connectivité (embedded goods). Dans tous les cas, certaines pratiques dont la frontière n'est pas facile à délimiter avec le protectionnisme ont pour effet d’exclure les entreprises – celles de taille modeste ou intermédiaire – de marchés étrangers ou d’introduire des coûts supplémentaires (hausse des prix des services cloud).
Sans même évoquer les législations prises au nom de la cybersécurité, celles interdisant l’accès à Internet et aux réseaux sociaux comme le Great Firewall de la Chine ou celles visant à restreindre sévèrement le recours aux logiciels anti-censure ou aux VPN (Virtual Private Network), l’ère numérique est, selon Mark Leonard, bien loin de l’idée de liberté qu’on pourrait s’en faire.
Réguler, protéger et encourager
L’une des parades à ce nouveau protectionnisme pourrait venir de nouvelles avancées technologiques. Le fait qu’un nombre croissant d’acteurs aient besoin de règles numériques qui respecteraient l’équilibre entre innovation, sécurité et régulation, tout en garantissant la confiance des utilisateurs, pourrait aussi être un puissant rempart. On se réjouira ainsi de l'accord auquel sont parvenus les pays européens pour légiférer sur tout géo-blocage injustifié, permettant ainsi aux consommateurs européens d'acheter en ligne dans un autre pays sans être géolocalisés. Entre outre, plusieurs pays appuient, à l'OMC, le principe d’un agenda numérique sur le e-commerce, l’abaissement des barrières ayant pour effet de stimuler les échanges. Tout le défi est de réguler, protéger et encourager sans être protectionniste.
In fine, ce qui ne change pas avec le protectionnisme, quels que soient les habits qu'il revêt – neufs ou anciens –, ce sont ses finalités :
1/ faire éclore des opérateurs nationaux en leur laissant le temps de développer des produits ou services compétitifs : quand la Chine contrôle, pour des raisons politiques, l’internaute, elle le fait aussi pour réserver son territoire à Alibaba et JD.com, champions nationaux du e-commerce ;
2/ créer une norme plus élevée que d'autres pays seront obligés de respecter s'ils veulent accéder au marché : c'est ce que l'on observe actuellement avec les dispositifs ambitieux de gestion et de sécurisation des données dont l'enjeu est aussi d'écrire les règles numériques de demain.
C'est quand l'évolution technologique offre des opportunités de redistribution de la puissance économique que la tentation du protectionnisme est la plus forte ; quel que soit le pays en question, le protectionnisme est utilisé pour entrer de plain pied dans l'ère numérique et reconfigurer les systèmes productifs afin de d’être ou de demeurer parmi les premières puissances industrielles.
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Corinne Vadcar
A graduate in international relations, Corinne Vadcar has a twenty years' experience in analyzing international trade and business internationalization. She is an expert on major trade trends, free trade agreements, global value chains (GVC) and trade policies. She is presently Senior Trade Analyst at InstitutFriedland, a Paris-based think tank, crossing macro and micro researches and expertises. Before joining InstitutFriedland, Corinne Vadcar served as Head of International Trade Studies Department at the Paris Region Chamber of Commerce and Industry. For five years (2008-2013), she was the chief editor Les Cahiers de Friedland. Prior to that position, she served as a Project Manager on geopolitical matters for a political risks insurance company and for the French Ministry of Defence.
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